Mon ami Albert

Mercredi 15 avril 2009, la directrice financière de la société anonyme Semlex, spécialisée dans la production et la livraison de passeports biométriques en Afrique, écrit au sénateur MR Alain Destexhe. « Pourriez-vous introduire une demande de carte de séjour pour Madame Ahmed Idriss Zina Wazouna, épouse de chef d’Etat ? Cette dame nous sert d’intermédiaire dans différents contrats au sein des pays africains. » logo semlex

Le parlementaire libéral brigue un mandat de cinq ans au Parlement bruxellois ainsi que sa réélection au Sénat. Il est en pleine campagne électorale. Chez Semlex, on est manifestement au courant. La directrice financière ajoute dans le même mail : « La camionnette demandée à Albert pour votre campagne électorale sera à votre disposition avenue Brugmann, 384, à partir du 17/04 de 9h à 16h. »

pass kara

« Albert », c’est Albert Karaziwan. L’administrateur délégué de Semlex Europe, dont le siège social est fixé au 384 de l’avenue bruxelloise. Tiens, courant 2017, le Parquet fédéral chargé de la grande criminalité a précisément ouvert une enquête judiciaire sur les activités en eaux troubles de Semlex. [Cette investigation découle des révélations, en avril 2017, de l’agence de presse Reuters, faisant état de paiements effectués à un proche conseiller de Joseph Kabila lors de la signature d’un contrat de livraison de passeports avec la République démocratique du Congo, il y a deux ans et demi]. A la lecture de nombreux mails, documents divers ou contrats signés par la firme belge, portant sur des centaines de millions d’euros, j’ai indiqué sur le site de Médor et dans un article publié avec le journaliste britannique David Lewis (Reuters) que bien d’autres marchés sont suspects [lire l’article complet dans Médor, ici, ainsi que le développement d’enquête publiée le 22 décembre par Reuters).

C’est en plein polar qu’est donc intervenu le sénateur Alain Destexhe. « Je n’ai rien fait d’anormal, nous a-t-il dit. Je connais Albert Karaziwan depuis plus de quinze ans. C’est devenu un ami. Il m’a permis de rencontrer à Bruxelles plusieurs personnalités politiques africaines. Moi, je suis un sénateur belge, lui, il est un homme d’affaires belge. Il me paraît normal de veiller au développement d’une firme – belge, j’insiste – à l’étranger. »

Que fait Destexhe quand Semlex lui demande le petit service ? Le 28 avril 2009, une dizaine de jours après la sollicitation, il envoie un courriel à la commune de Waterloo, où habite la fameuse « épouse de chef d’Etat ». Une lettre accompagne ce mail. Entre libéraux, le style d’écriture se veut familier. Alain Destexhe s’adresse à Serge Kubla, ex-ministre wallon de l’Économie. « Monsieur le Bourgmestre, cher Serge, j’aurais souhaité attirer ton attention sur le cas de Madame Ahmed Idriss Zina Wazouna. C’est l’épouse du Président tchadien et la sœur du Président de la banque centrale qui gère le franc CFA pour l’Afrique centrale. Celle-ci voudrait s’installer en Belgique. (…) Elle aide des hommes d’affaires belges à obtenir des contrats. Je n’ai personnellement aucun intérêt dans l’histoire mais je suis sollicité pour qu’elle puisse s’établir à Waterloo plutôt qu’en Suisse où les autorités cherchent à la faire venir. »

À la même époque, Destexhe entretient des contacts réguliers avec son ami Albert, qu’il tutoie. « Il n’y a aucun lien autre que temporel entre la lettre envoyée à Serge Kubla et la mise à disposition d’une camionnette. A chaque fois que j’ai utilisé un véhicule pour poser mes affiches, dit Destexhe, je l’ai déclaré dans mes comptes de campagne. » Est-ce vrai ? Il est désormais impossible de vérifier. Et : pourquoi un sénateur contacte-t-il un bourgmestre sur un dossier où il « suffit » d’appliquer la loi ?

 

Répondre à Mon ami Albert

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s