Djihad Express

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L’impression de me trouver calé contre la cloison d’un ascenseur, le temps d’une secousse sismique. Trois jours après les attentats de Paris, l’appartement bruxellois délaissé par Sabri Refla ressemble à un shaker. Fatalisme, colère, incompréhension: les parents de ce jeune Belge mort en Syrie et aujourd’hui poursuivi pour sa «participation à un groupe terroriste» semblent débordés par la confusion des sentiments. Et moi aussi, je l’avoue…Sabri Refla a claqué la porte du petit bonheur tranquille en août 2013, à 19 ans, répondant à l’appel du djihad. Son malaise était perceptible depuis trois mois. Le chiffre maudit. Trois mois plus tard, ses parents apprenaient sa mort «en martyr». Au lendemain du Bataclan, ils sont là, terrorisés. Tremblant à l’idée que leur propre fils aurait pu s’y associer, le père, la mère sont anéantis. Ce sont des gens ordinaires. Sans barbe, ni voile, ni coran, ni repli sur soi. Cherchant juste à comprendre les raisons de leur échec dramatique, à l’occasion d’un procès éreintant devant le tribunal correctionnel de Bruxelles: celui de leur fils mort et de ceux qui l’ont accompagné ou mené en Syrie.

Bien sûr, il y a des zones d’ombre dans l’histoire de ce gamin souriant né parmi nous- histoire racontée dans le numéro 2 de Médor, sorti en mars 2016.
Parti d’ici paumé, s’écartant là-bas de son compagnon d’échappée, Sabri serait mort d’une balle perdue ou… d’un acte kamikaze. A proximité d’un barrage dressé par l’armée régulière syrienne face à des rebelles mélangés à des terroristes. Du cloaque oriental, les parents n’ont reçu aucune image. Il n’y en a pas dans le dossier judiciaire. Aucune photo de Sabri portant une arme, ni aucune vidéo ou message revendiquant son appartenance à l’Etat Islamique, par exemple.

Vidéo glaçante

Ce qu’on sait du départ? Le gamin a disparu entouré d’ombres, le mardi 13 août 2013. Une dernière vidéo le représente dans une rue de Bruxelles. Ce document glaçant a été retrouvé lors de perquisitions au domicile d’Othman Akzinnay, un jeune homme à peine plus âgé que Sabri, poursuivi en tant que dirigeant d’un groupe terroriste et qui comparait libre lors du procès bruxellois. Lui est en aveux. Interrogé au tribunal sur son rôle lors du départ de Sabri et d’un ami bruxellois, Yassine, ce maillon d’une chaine a reconnu une mauvaise blague, dont il s’est dit coutumier. Il tient la caméra et ironise à propos des deux proies d’une filière de recrutement bien organisée. «Enrico et Pablo vont à la guerre?», glisse le cameraman telle une peau de banane. Devant «Enrico» Yassine Cheikhi et «Pablo» Sabri Refla, assimilés par leurs surnoms à de simples touristes, deux silhouettes en djellaba ouvrent la voie menant à la mosquée Kouba, à Schaerbeek. Elles les emmènent vers l’inconnu.

C’est une autre zone d’ombre du dossier. La justice belge n’a pas établi comment les deux fugitifs se sont rendus de la mosquée bruxelloise à l’aéroport d’Ostende. Selon mes recoupements, les ombres de la fameuse vidéo seraient Mohamed Akzinnay, le frère d’Othman, et Maalmi Yahya, l’oncle de Yassine, figurant également sur les bancs du tribunal. Le djihad en famille! Le détail a son importance. Il y a encadrement et scène filmée. Les mêmes hommes vont d’ailleurs se multiplier les jours suivants, s’alimentant auprès d’un leader-pompe à fric, cherchant sans cesse son approbation ou ses lumières: Khalid Zerkani, présent sur le sol belge depuis vingt ans. Mis sur écoute, surveillé par un agent undercover et un indic au passé sulfureux, suivi dans ses moindres mouvements de juillet 2013 à février 2014, au moins! A l’occasion du départ de Sabri et Yacine, donc. Pourquoi l’a-t-on laissé faire?

Sans avoir pu reconstituer la trajectoire complète de Sabri Refla, le tribunal de 1ère instance de Bruxelles le juge actuellement par défaut (son décès n’a pu être officialisé). Le réquisitoire du parquet fédéral est connu depuis fin février. Une peine de 5 ans de prison est retenue contre lui. C’est le même tarif que celui demandé pour des seigneurs de guerre avérés. Or Sabri était-il un terroriste en puissance (la thèse du parquet) ou un jeune en difficulté d’insertion sur le marché du travail et victime de recruteurs sans scrupules (la thèse de ses parents)?

Singulier et universel

De nombreux jeunes Belges happés par l’Etat Islamique ou ses intermédiaires sont passés par les mêmes filières que Sabri, les mêmes mosquées, les mêmes prédicateurs de rue et ils étaient issus des mêmes quartiers. L’enquête que Médor publie dans son numéro 2 montre à quel point chaque cas est singulier et universel, à la fois. Le parcours de Sabri n’a rien à voir avec celui de Yassine Cheikhi (le combattant assumé qu’il a accompagné), de Bilal Hadfi (le terroriste qui s’est fait sauter près du Stade de France et qu’il a croisé sur les bancs de l’école) ou d’Abdelhamid Abaaoud (l’organisateur présumé des attentats de Paris, qu’il a pu connaître au hasard de ses contacts dans les milieux islamistes bruxellois). Leur djihad à eux ramène à des cadavres trainés au sol et à l’horreur des têtes coupées.

Comprendre ce qui a mené Sabri en Syrie n’est donc qu’une toute petite partie de l’histoire. Il resterait à déterminer qui a inspiré ou manipulé le mystérieux Khalid Zerkani, recruteur en chef de djihadistes belges par dizaines. L’homme qui fait peur. A ses complices et aux autorités belges.

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